Celui qui ne voulait plus manager
Alex se laissa tomber sur sa chaise de bureau, une pile de rapports non lus devant lui. Les notifications s’accumulaient sur son écran, mais il n’avait même pas la force de les ouvrir. Il était fatigué, frustré, et, s’il devait être honnête, complètement perdu.
Cela faisait deux ans qu’il avait accepté ce poste de manager. À l’époque, il s’était senti flatté par la proposition : il pensait pouvoir transformer l’équipe. Il voyait les erreurs de son prédécesseur – des décisions autoritaires, des collaborateurs démotivés – et s’était juré de faire mieux. Il voulait prouver qu’un management humain, respectueux, était possible.
Mais aujourd’hui, il se demandait où il avait échoué.
Rien ne va plus
Alex repensa à tout ce qui n’allait pas dans son équipe. Le turnover était devenu un problème récurrent. Chaque fois qu’un collaborateur partait, Alex se demandait s’il n’était pas, lui-même, responsable. Mais avec les départs fréquents, il n’avait plus le temps d’accompagner correctement les nouveaux arrivants. Ils étaient plongés directement dans les projets, souvent livrés à eux-mêmes.
Ensuite, il y avait les burn-out. Pas moins de deux membres de son équipe avaient demandé un arrêt maladie prolongé au cours de l’année écoulée. L’un d’eux, Claire, avait confié en partant :
"Je n’en peux plus, Alex. On n’a jamais de vision claire, tout est toujours urgent. Je ne sais même plus pourquoi je fais ce travail."
Ces mots le hantaient. Claire avait été l’une des collaboratrices les plus motivées lorsqu’il avait pris son poste. Aujourd’hui, elle semblait éteinte.
Et puis, il y avait ces tensions entre les membres de l’équipe. Les réunions ressemblaient parfois à des champs de bataille. Chacun défendait son territoire, pointait du doigt les erreurs des autres. Alex essayait de désamorcer les conflits, mais il avait l’impression d’être pris dans une boucle sans fin.
Pour lui, le plus dur était de se voir changer. Lui qui pensait aimer les gens, il se surprenait parfois à redouter leurs questions, leurs attentes, leurs frustrations. Il en était venu à éviter les discussions informelles, craignant qu’elles ne débouchent sur de nouvelles plaintes ou de nouvelles tâches.
Une discussion inattendue
Un soir, après une journée particulièrement éprouvante, Alex retrouva par hasard un ancien ami, Philippe, dans un café.
Philippe, entraîneur de natation, semblait toujours calme et posé, une sérénité qu’Alex enviait.
— Alex, tu n’as pas l’air dans ton assiette. Ça va ?
Alex hésita, puis se lança.
— Pas vraiment. J’ai l’impression que tout part en vrille au boulot. Le turnover explose, les gens se mettent en arrêt, et même ceux qui restent ne semblent pas motivés. J’essaye de tout gérer, mais, c’est comme si chaque problème en créait un autre.
Philippe l’écouta en silence, puis hocha lentement la tête.
— Je comprends ce que tu traverses. Tu sais, en natation, on fait face à des défis similaires.
Alex, intrigué, posa son café.
— Comment ça ?
Philippe s’installa plus confortablement dans sa chaise.
— La natation, c’est un sport incroyablement ingrat. Les nageurs passent des heures à s’entraîner pour gagner quelques centièmes de seconde. Les compétitions ne durent que quelques minutes, et pourtant, c’est toute leur vie. Ajoute à cela qu’on a peu de moyens : le financement est limité, on n’a pas de grandes équipes comme dans d’autres sports. Alors, pour rester compétitifs, on n’a pas d’autre choix que de miser sur la durée.
Il fit une pause avant de continuer.
— Si un nageur quitte le club, c’est une perte énorme. Pas seulement pour lui, mais pour l’équipe entière. Il faut des années pour former un champion, et chaque départ nous ramène presque à zéro.
Alex acquiesça, sentant un parallèle se dessiner.
— Donc, tu dois tout faire pour éviter le turnover, c’est ça ?
Philippe sourit légèrement.
— Exactement. Mais ce n’est pas seulement ça. Il faut aussi créer un environnement où les nageurs veulent rester. Ce n’est pas suffisant d’être un bon entraîneur technique. Tu dois comprendre leurs motivations, les encourager quand ils en ont marre, et surtout, leur montrer qu’ils progressent, même si c’est lent.
Alex se pencha légèrement en avant.
— Et comment tu fais ça ?
Philippe le fixa avec sérieux.
— Je commence par revenir à la base. Pourquoi est-ce qu’ils nagent ? Ce n’est pas juste pour gagner des médailles, tu sais. C’est parce qu’ils aiment l’eau, parce qu’ils veulent se dépasser. Si tu oublies ça, tu perds tout.
Philippe posa sa tasse sur la table et fixa Alex avec une intensité inhabituelle.
— Alex, je vois beaucoup de similitudes entre ce que je fais et ce que tu décris. Toi aussi, tu as une équipe qui dépend de toi pour progresser, non ?
Alex haussa les épaules.
— Oui, mais j’ai l’impression que je n’y arrive pas. J’ai essayé de tout gérer, mais ça ne marche pas.
Philippe hocha la tête.
— Tu fais peut-être l’erreur que j’ai faite au début. Je pensais que je devais tout contrôler : leur technique, leur mental, leur alimentation, tout. Mais ce n’est pas ça mon rôle. Mon rôle, c’est de leur donner les outils pour qu’ils trouvent leurs propres solutions. Leur offrir un cadre clair, des objectifs motivants, et leur montrer que je suis là, pas pour les juger, mais pour les aider.
Alex resta silencieux un moment, réfléchissant aux mots de son ami. Philippe poursuivit.
— Si tu veux que ton équipe reste engagée, tu dois faire comme en natation : miser sur la durée. Comprendre pourquoi tes collaborateurs viennent chaque matin, et leur donner une raison de rester.
Alex hocha lentement la tête.
— Et si je n’y arrive pas ?
Philippe sourit doucement.
— Alors il faut apprendre. Tu sais, il y a une formation qui pourrait t’aider. Elle s’appelle "I love my boss".
Alex fronça légèrement les sourcils.
— "I love my boss" ? Sérieusement ?
Philippe esquissa un sourire amusé.
— Le titre est un peu cliché, je te l’accorde. Mais elle aborde le management de manière humaine, comme on le fait en entraînement sportif. Je suis sûr que ça te parlerait.
Alex haussa un sourcil, sceptique. Mais il connaissait Philippe. S’il lui recommandait cette formation, ce ne serait sûrement pas une perte de temps.
La première session
L’idée avait intrigué Alex. Philippe, avec son approche bienveillante, mais exigeante, avait été un modèle pour lui dans sa jeunesse. S’il recommandait cette formation, elle en valait sûrement la peine.
Maintenant qu’il était assis là, dans cette salle au troisième étage, entouré de personnes qu’il ne connaissait pas, il n’en était plus aussi sûr.
Avant qu’il ait le temps de réfléchir davantage, une voix énergique résonna dans la pièce.
— Bienvenue à tous ! Je m’appelle Max, et je vais animer cette formation. Je vous promets que ce sera une expérience différente de tout ce que vous avez connu auparavant.
Max, vêtu d’un jean et d’une chemise blanche, semblait incroyablement à l’aise. Son sourire franc contrastait avec les airs résignés des participants. Il se tenait au centre de la salle, tenant un marqueur à la main.
Max ouvrit la session avec une question simple :
— Pourquoi êtes-vous ici ?
Les réponses fusèrent :
"Je veux apprendre à mieux diriger mon équipe".
"Je cherche des solutions pour motiver mes collaborateurs".
"Je suis complètement perdu dans mon rôle de manager".
Quand ce fut son tour, Alex hésita.
— Honnêtement ? Je ne sais plus pourquoi je fais ce travail.
Max hocha la tête avec compréhension.
— Beaucoup de managers passent par cette phase, Alex. Savez-vous pourquoi ?
Alex haussa les épaules.
— Parce qu’on n’a pas les bonnes méthodes ?
— Pas seulement. C’est souvent parce qu’on se perd dans le rôle. On oublie pourquoi on l’a accepté au départ. On se noie dans les contraintes, les conflits, les objectifs. Et on perd de vue l’essentiel : les gens.
Alex sentit une légère chaleur monter en lui. Max avait mis des mots sur ce qu’il ressentait.
Atelier : l’exercice du miroir
Max invita ensuite chaque participant à réfléchir à leur première motivation en devenant manager. Il distribua des feuilles blanches et posa trois questions :
- Pourquoi avez-vous accepté ce rôle au départ ?
- Qu’espériez-vous accomplir ?
- Qu’est-ce qui vous empêche aujourd’hui de réussir ?
Alex prit son stylo, hésita, puis commença à écrire.
- Pourquoi ? Parce que je voulais créer une équipe dans laquelle chacun se sentirait valorisé.
- Qu’espérais-je ? Donner un vrai sens au travail, créer une dynamique positive.
- Qu’est-ce qui me bloque ? Les conflits incessants, le turnover, les burn-out, et… moi-même.
Max fit le tour de la salle, s’arrêtant auprès de chaque participant pour écouter leurs réponses. Quand il arriva près d’Alex, il jeta un coup d’œil à ses notes.
— Alors, Alex, qu’est-ce qui te bloque vraiment ?
Alex soupira.
— J’ai l’impression d’être submergé. Les objectifs, les conflits, les attentes… Je ne sais plus par où commencer.
Max sourit doucement.
— Ça tombe bien. C’est exactement ce qu’on va apprendre ici. Revenir à l’essentiel, pour reconstruire à partir de là.
Une lueur d’espoir ?
À la fin de la journée, Alex se sentit étrangement apaisé. Ce n’était pas qu’il avait trouvé toutes les réponses, mais il avait compris une chose essentielle : il n’était pas seul. D’autres vivaient les mêmes frustrations, et il existait des moyens de s’en sortir.
Alors qu’il quittait la salle, il jeta un coup d’œil à ses notes. Trois phrases se détachaient clairement :
- Revenir à l'essentiel.
- Se concentrer sur les gens, pas sur les problèmes.
- Redéfinir ce que le rôle de manager signifie vraiment.
Alex ne savait pas encore comment il allait y arriver, mais pour la première fois depuis longtemps, il se sentait prêt à essayer.
A suivre
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